I. ASCO : LE VILLAGE 1ère partie

 

 

 

1. L'historique

2. Les origines du village et son nom

3. La route et la forêt d'Asco

4. Us et coutumes : le mariage à Asco

 

 

1. L'HISTORIQUE

 

Pourquoi Asco ? C’est le berceau de nos deux familles et moi, Ghjuastè (Jean-Etienne), le 7è enfant de  la famille, j’y suis né au premier étage de la maison familiale, devenue en 1954 l’Hôtel du Cintu.

 

 

 

Même si pour moi, Asco est connu de tous … situons-le sur la carte de Corse.

 

Au bout du bout des remarquables gorges de la rivière Asco, à une vingtaine de kms de Ponte-Leccia, une fois franchis les ponts de Chelga et de Ranza, deux petits affluents de l’Asco, apparaît, haut perché au détour d’un virage, le village. Nous sommes à quelque 700m d’altitude.

 

 

 

La route qui y mène, après l’échec de nombreux projets remontant à … 1869 sera inscrite au programme des travaux vicinaux pour 1917. (voir infra chapitre consacré à la construction de la route d'Asco) 

 

Le village sera désenclavé en 1937.

 

Avant, il fallait confier sa vie et ses biens à ses propres mollets et ... aux ânes, comme en témoignent les cartes postales anciennes ci-dessous. 

 

Notre famille est montée de Lama à Asco en 1936. La route s'arrêtait au lieu-dit Pozarese.

 

Ensuite il fallait continuer à dos d'âne et, arrivés à Cumizza (1), emprunter le chemin muletier qui conduisait au village en traversant un petit pont, détruit dans les années 2000 par une violente crue du ruisseau de Ranza.

 

(1) Ce nom pourrait venir d'aqua mista, eau mêlée, et désigner un confluent, peut-être là où Ranza rejoint l'Asco.

     

  

Asco - Le chemin au début du XXè siècle
Asco - Le chemin au début du XXè siècle
L'ancien chemin muletier de cette CPA signée Moretti précise qu'il s'agit du maire d'Asco (années 1920) et d'Ascolaises revenant des courses !
L'ancien chemin muletier de cette CPA signée Moretti précise qu'il s'agit du maire d'Asco (années 1920) et d'Ascolaises revenant des courses !

 

 

2. LES ORIGINES DU VILLAGE ET DE SON NOM

 

Un mot maintenant sur les origines du village et de son nom.

 

On a l’embarras du choix :

 

Oreste Tencajoli dans son ouvrage Chiese di Corsica (1936)    écrit :

 

« … una tradizione riportata da G. Castelli, vuole [che questo villaggio] sia stato fondato nel secolo XIII da certo Pietro della Scala di Ascoli Piceno… » p.33

 

Effectivement, dans son ouvrage, Una colonia ascolana in Corsica, Ascoli, 1884, G. Castelli argumente sur la prétendue fondation d'Asco par un noble exilé d'Ascoli en Italie, dans le Haut-Moyen-Age. Ce banni serait un certain Pier della Scala qui vivait sous Innocent III ...

 

Hypothèse fermement récusée par l'abbé F. Trojani dans des articles parus dans La Revue de la Corse moderne et contemporaine 1921-1922 n° 11-12-13-14-15.

 

Oreste Tencajoli, plus loin, précise que « secondo lo storico Filippini esso avrebbe invece una lontana origine romana e si sarebbe chiamato Asincon ».

 

Maistrale dans son plaisant ouvrage A Corsica, Paese per Paese, 1931,    Imprimerie du Petit Bastiais, note : « Ascu è unu d’i paesi più originali di Corsica : u so nome vene da ascosu, [qui signifie caché].

 

Citons aussi la poésie illustrant la quatrième de couverture de l'Organe Paroissial Mensuel "Les cloches de l'Asco", édité en 1936, à l'initiative du curé De Champlain en charge de l'église d'Asco.

  

 

L'auteur Giuvanellu d'Ascu, nous livre sa propre interprétation du nom du village et fait allusion lui à un exilé romain qui, banni par l'église, se réfugia en Corse et fonda Asco.

 


Traduction

 

Asco le légendaire fut fondé

Par un rebelle Romain Ascolais

Qui banni par l'Eglise

Se vit en Corse seul exilé,

A peine arrivé là, il fut allaité

Par Monte Padru et la rivière Aschaise

Il s'y plut, et y fit un village

Qui Asco(li) de Rome fut appelé

Il en conserva les coutumes, il eut

Toujours recours à un Sage, et puis il fut

Par le Grand Padre d'Ascu, immortalisé

Asco(li) de Rome, fut le seul village

Jamais profané par aucun ennemi 

Car l'Archange Michel toujours le défendit

 

Dans une récension qu'il fait du livre du curé Trojani, Autour de l'église d'Asco, Paul Graziani termine en ces termes

 

"Le pittoresque village d'Asco, un des plus anciens et des plus curieux de la Corse, avec sa population si attachée aux saines traditions, au milieu des plus hautes montagnes de l'île, sur la lisière de la magnifique forêt de Carrozzica ... (Revue de la Corse n° 24, 1923)

 

Quelles que soient les hypothèses quant à son nom ou à ses origines, Asco mérite bien sa réputation de village du bout du monde. Ne dit-on pas encore aujourd'hui « Vàitine in Ascu », pour encourager quelqu’un à se rendre dans un endroit perdu !

 

Il est vrai que la route du village, même si elle se prolonge jusqu’au plateau de Stagnu, se termine en impasse à l’emplacement de la station de ski du Haut-Asco. 

 

Pour la station de ski voir Asco 3ème partie

 

 

Cette situation géographique confère à Asco certaines particularités. Oreste Tencajoli, dans l’ouvrage cité, n’hésite pas à affirmer :

 

 « I suoi abitanti, che hanno conservato gelosamente i costumi del passato, parlano uno dei dialetti più puri dell’isola » !

 

Non seulement la langue corse a été préservée dans sa pureté mais l ’isolement du village a aussi facilité la mise en place de structures sociales originales : celle du légendaire sage d’Asco et de sa république.

 

Le nom du « Saviu d’Ascu » apparaît encore dans bien des locutions proverbiales de chez nous.

 

Et que dire des adjectifs dithyrambiques qui légendent de vieilles cartes postales du village !

 

"Village le plus pittoresque du monde" ; "paradis du tourisme ..."; "la forêt d'Asco la plus cahotique du monde " ou encore "Asco, séjour d'été incomparable au centre de l'orographie insulaire ".

 


 

Le mensuel déjà cité "Les Cloches de l'Asco" demande aux lecteurs de s'abonner à la revue pour découvrir :

 

"ASCO" la Perle du Tourisme dans l'île de Corse

 

 

 

 

"La vallée de l'asco est intéressante non seulement pour le géologue mais même pour le simple touriste, qui pourrait y trouver des tableaux grandioses ; malheureusement les gorges sont assez loin de Ponte-Leccia ... rares sont ceux qui ne craignent pas de s' aventurer dans cette vallée reculée. 

Cependant on ne peut trouver de sites plus intéressants que ceux offerts par de pareilles gorges au pied des formidables contreforts du Cinto ou de la Punta Minuta."

Revue de géographie, 1er janvier 1908.

 

Pourtant à une certaine époque, tous ne partageaient pas ce sentiment, du moins en ce qui concernait les us et coutumes des habitants d'Asco.

 

En témoigne le savoureux pamphlet écrit en langue corse par le docteur et poète Antone Leonardu Massiani (1816-1888), publié vers 1880. 

 

Le célèbre Viaghju in Ascu, sous-titré "A cuccagna di Bazzicone" (Bazzicone étant le nom de l'âne), paraîtra par la suite dans la revue l'Almanaccu di a Muvra en 1936.

 

 

Il sera question dans cette très longue poésie (114 tercets !) des us et coutumes des Ascolais de l'époque concernant le manger, le coucher et le mariage.

 

Et Bazzicone sera complice, témoin et lui aussi victime des diverses mésaventures du docteur.

 

En voici de courts extraits : il est certain que, ni le docteur ni son âne ne garderont un bon souvenir de ce "fameux" voyage !

 

 

... St’etima passata, sò cullatu

Per andà in Ascu, quella "conca d’oru",

(Chì la chjamò cusì, lu sia allupatu !) ... 

 

... pe lu fiuminale,

 

Cumenciu à sente quellu stizzu aschese ...

 

... Bazzicone mi guarda ad ochji torti;

Pare ‘lu vogua di: "Ch'è tù sia cecu !

Sò què le case duve tù mi porti ? ...

 

... Scumporta pè sta volta, è ti promettu,

Ch’acceghi pur’, s’in Ascu più t’arrecu ! ...

 

... Stancu di stà in Ascu 

Pigliu u sumere è partu risolutu

D’ùn turnà ci mai più ...

 

La semaine dernière je suis parti

pour monter à Asco cette "Conque d'Or",

(Qu'il soit frappé par la peste, qui l'appela ainsi)

 

Le long de la rivière

je commence à sentir cette puanteur ascolaise

 

Bazzicone me regarde  de travers

Il semble me dire " puisses-tu devenir aveugle !"

C'est ça les maisons où tu m'emmènes ?"

 

Supporte pour cette fois, et je te promets,

que je devienne aveugle, si jamais plus

à Asco je te conduis

 

Fatigué d'être à Asco

je prends l'âne et je pars résolu

de n'y revenir jamais plus.

 

 

Mais cela sera sans incidence sur la réputation du village. Les nombreux guides touristiques qui paraîtront sur la Corse, feront la part belle à Asco.

 

(Voir en 2ème partie le chapitre consacré aux guides touristiques parlant d'Asco)

 

On vantera les merveilleuses gorges qui conduisent au village, le village lui-même.

 

Quant au paysage montagneux qu'offre le Haut-Asco,  il sera qualifié d'exceptionnel. L'on parlera même du "Zermatt" corse !

 

Dans le journal "L'Auto" du 3 août 1914, on trouve en première page un long article d'Albert Surier consacré au curé Trojani. (voir Les personnalités d'Asco)

 

Avant de faire l'éloge du curé dont il vante l'accueil et l'hospitalité, l'auteur de l'article présente de façon lyrique les beautés des gorges de l'Asco et de sa forêt.

 

Sur le village lui-même les propos sont moins louangeurs.

 


 

La vallée de l'Asco est "une conque, la plus merveilleuse des merveilles corses, étrange et épouvantable fureur pétrifiée qui, sur quinze chilomètres de longueur, dresse ses verticalités de rocs faunes entaillés, déchiquetés, crevassés, lézardés ..."

 

La forêt de Carozzica "jamais ne connut le bûcheron meurtrier" ; 

forêt "inaccessible aux exploitants, ses fiers sujets de cinquante et soixante mètres de hauteur, n'y meurent que tués par les années ou parfois abattus par la tramontane" ...

 

 

Gorges de l'Asco - Lieu-dit "Ventose"
Gorges de l'Asco - Lieu-dit "Ventose"
   

 

LA CONSTRUCTION DE LA ROUTE D'ASCO

 

La question d'une route pour le village s'est posée très tôt.

 

 

 

1869

 

« C’est le 17 mai 1869 que la Commune d’Asco, manquant de moyens de communication, obtint l’autorisation, par un décret impérial, de vendre les arbres de ses forêts pour construire un chemin carrossable. Déjà les dispositions étaient prises quand la guerre avec l’Allemagne vint tout annihiler en 1870 : premier échec !

 

1874

 

Quatre ans plus tard, en 1874, comptage et martelage de tous les arbres exploitables de la forêt de Carozzica, aux frais et pour le compte d’une grande maison de Marseille qui ne réalisera pas son acquisition : deuxième échec !

2

En 1880 l’espoir renaît. La nouvelle loi Freyssinet, relative aux routes intercommunales, motive un rapport favorable sur cette question par l’agent-voyer en chef du département. Efforts fugitifs sans effets : troisième échec.

 

Chacune des années suivantes vit se renouveler les mêmes insuccès dus à un cercle vicieux. Pour faire la route, il faut vendre les arbres, pour vendre les arbres il faut qu’ils soient transportables, pour les transporter il faut une route ! Comment sortir de là ?

 

Mais les habitants d’Asco qui durent à leur isolement de rester longtemps inconnus du percepteur, s’ils ont été involontairement les derniers pour l’impôt, furent les premiers pour la persévérance.

 

Un syndicat d’initiative locale qui dut sa formation et son impulsion à l’actif curé du village, l’abbé Trojani – dont l’infatigable dévouement aux intérêts de son pays est bien connu de tous ceux qui ont parcouru cette région, - finit par obtenir, grâce à ses incessantes démarches, le déclenchement de tous les rouages administratifs.

 

 

 

1905

 

« Un rapport de l’agent-voyer en chef en 1905 permet de sortir de ce sommeil léthargique. Nouveau martelage des arbres, établissement d’un cahier des charges, mise en adjudication de 125.000 mètres cubes de bois d’œuvre, vente pour 350.000 francs, puis étude définitive du tracé de la route.

 

Ce fut un pas de géant qui fut suivi aussitôt de la mise en chantier du premier lot (coût 35.000 francs) ; puis bientôt du 2è lot (138.000 fr.), puis sans interruption du 3è lot (211.000 francs) et récemment du 4è et dernier lot, inscrit ferme au programme des travaux vicinaux pour 1917, avec une subvention de 30.900 francs.

 

La magnifique région de l’Asco va donc se trouver reliée au reste de la Corse, grâce aux subventions du département et de l’Etat, - qui ont permis de construire d’abord la route nécessaire au transport des bois à vendre, - ainsi qu’au produit de cette coupe extraordinaire.

 

C’est le relèvement économique certain dans un avenir non éloigné, par la manne bienfaisante du tourisme, d’un pays les plus pittoresques et les moins connus de la Corse »

 

L’auteur poursuit son article en décrivant la configuration de cette route de 25  kilomètres dont l’achèvement est prévu en 1917 :

 

La route, amorcée à la station de Ponte-Leccia, avec une largeur de 3m50, atteint l’Asco par une pente très douce et se poursuit sur sa rive droite jusqu’à un pont terminé l’année dernière, qui marque l’entrée des célèbres gorges déclarées « merveilleuses » par Joanne et Ardouin-Dumazet. « Défilé immense et fantastique taillé à vif dans le porphyre » dit Forsyth-Major …

 

Franchissant l’Asco, la route passe sur la rive gauche qu’elle ne quittera plus jusqu’au village situé sur le même côté. Son parcours au flanc de roches gigantesques, au milieu de bouleversements chaotiques parsemés d’une puissante végétation, en font, sans contredit, une des routes les plus pittoresques de la Corse, que les touristes parcourront à l’égal des défilés de l’Inzecca et de Santa Regina.

 

Sa longueur est de 24 kilomètres. »

 

Hélas il n’en sera rien.  Il semblerait que cet article, paru en 1917 en pleine guerre, n’ait éveillé aucun écho.

 

Il sera repris en 1924 par La Revue de la Corse ancienne et moderne, n°30, novembre-décembre. L’auteur rappellera qu’à cette époque tout le monde était convaincu que le projet irait à son terme.

 

La question de la route agitait donc les esprits depuis longtemps et devint même un enjeu électoral comme le prouvent les documents qui suivent.

 

Revenons sur une étrange proposition datée de 1888

 

Dans le Petit Bastiais du 7 mars 1888 paraissait un article signé d'un certain Della Luna, ingénieur non breveté ! qui proposait, s'il était élu aux élections sénatoriales, ni plus ni moins qu'un funiculaire pour désenclaver le village d'Asco !!!

 

 

1907

 

La construction de la route sera l'enjeu d'une bataille électorale.

 

Le journal l'Aspic du 27 juillet 1907 publie deux articles.

 

Un premier évoquant la tournée électorale d'un âne !! traitant de la vanité des promesses électorales !

 

 



 

Un second article, signé par le conseiller général du Canton de Castifao, promettait notamment la réparation d'un morceau de la route qui doit conduire à Asco.

 


  

1914 : rien n’est fait…

 

 

Voici comment on pouvait se rendre à Asco en 1914 selon un article d'Albert Quantin dans la Corse, La Nature, Les hommes, Le présent, L'avenir, Paris 1914 

 

"Pour se rendre à Asco, une route de voiture conduit jusqu'à Moltifao. Restent 15 kilomètres qui ne peuvent être franchis qu'à pied ou à cheval, Asco étant totalement dépourvu d'accès. on ne regrettera pas son effort. On se trouvera dans un pays écarté du monde, adossé à une profonde forêt qui appartient à lea commune, au-dessus de gras pâturages. Les moeurs s'y sont conservées patriarcales." (pp.102/103)

 

 

1917

 

Autre article paru dans la revue La pêche illustrée, avril 1917, qui nous donne une indication de l'état de la route :

 

« Pour se rendre à Asco (altitude 760 mètres), il faut prévenir de son arrivée un jour à l'avance l'auberge Grisoni à Moltifao, qui enverra à la station du chemin de fer de Ponte-Leccia un cabriolet puis, au pont de l'Asco, un mulet.

 

L'excursion à pied ou à mulet par un sentier pittoresque mais extraordinairement pierreux et en montagnes russes, mérite à elle seule le voyage. »

 

En 1917, une route carrossable, actuellement en construction, sera livrée à la circulation".

 

(L’auteur avait dû lire l’article de l’Indicateur de 1917 !) 

 

Pourtant, la route ne sera pas achevée en 1917 mais  bien plus tard en 1937 !

 

 

1918 : les travaux devraient continuer. Parution dans Le journal Colombo du 10 septembre d'une annonce d'embauche d'ouvriers aux chantiers de la route d'Asco :

 

 

 

Cette même année, dans un article, Les gorges de l'Asco en 1918,  (Revue de la Corse, n°35, septembre-octobre 1925 pp.75-76), A. Cervoni évoque avec étonnement la présence d'ouvriers chinois sur le chantier de la route.

 

A la même époque, un communiqué du Conseiller général de Castifao, avait informé que le Ministre de la Guerre mettait "à la disposition du département d'excellents ouvriers chinois, en nombre illimité ..."

 

 « Une descente rapide au trot de deux mules nerveuses et nous voici arrivés au pied de cette gigantesque faille des gorges de l’Asco. C’est le défilé classique, Les gorges de l'Asco avec, en plus, je ne sais quelle horreur dantesque. 

 

Des deux côtés, à des hauteurs vertigineuses, la montagne se dresse à pic, vous enserre, vous écrase. Tout au bout de l’étroit couloir, les sombres parois rocheuses semblent même se rapprocher, se rejoindre, se confondre et jeter leur défi de muraille infranchissable.

 

 A droite, un vieux pont génois aux pierres rougeâtres, à l’arche vétuste, marque des chemins que l’on ne suit plus. Un peu plus loin, un autres se dresse, tout blanc celui-ci, admirable portique au seuil des merveilles et qui projette sa courbe élégante d’une rive à l’autre. (le pont de Mulindina).

 

Une date inscrite à son fronton, indique l’œuvre grandiose, encore inachevée qui a demandé déjà cinq ans de travaux et d’efforts …

 

Le poète pourra regretter le sentier escarpé où seul le pas de sa mule réveillait l’écho endormi ; il nous sera difficile de ne pas rendre hommage à la science et au génie humain qui, à force de volonté et d’intelligence, réalise ici tous ses buts.                                               

 

Le jour qui semble diminuer tout à coup nous annonce que nous commençons à pénétrer au coeur de la chaine … Un brusque tournant du chemin vous met subitement en face de baraquements minuscules … Mais qui peut bien faire son séjour de cette gorge sauvage ?

 

L’étonnement grandit, devient de l’hallucination lorsqu’on voit sortir de ces sortes de huttes, des êtres étranges à cheveux longs et à face jaune. Ce décor asiatique tout au moins inattendu achève de vous enlever toute notion de temps et d’espace.

 

On ne sait plus très bien où l’on est, dans quel pays très vieux ou très jeune, aux premiers âges du monde ou en pleine civilisation. Contraste saisissant né de la guerre et rapprochement étrange des fils de la vieille Chine venus tracer des routes dans la France du XXè siècle !

 

Nous franchissons une passerelle pour approcher de plus près ce campement insolite. Quelques cases où règne le désordre, des lits-tentes dressés çà et là ; des couvertures roulées sur quelques pierres au beau milieu du torrent, nous avertissent que nous prenons contact avec l’homme primitif.

 

Des faces jaunes grimacent à l’embrasure d’une porte ou nous regardent curieusement de leurs yeux bridés, masquant sous un front étroit et ferme je ne sais quelles pensées obscures que jamais un Européen ne pourra pénétrer » …

 

Dans son article A. Cervoni cite le nom de Manicella nous permettant ainsi de savoir où eut lieu cette rencontre.

 

 

Ouvriers construisant la route (collection personnelle)
Ouvriers construisant la route (collection personnelle)
Ouvriers construisant la route (collection personnelle)
Ouvriers construisant la route (collection personnelle)

 

1921

 

En 1921 la route est ouverte sur 7 km entre le pont de Tesa et le lieu-dit Cabanne. Selon le projet, il reste 7 km à  ouvrir, mais il s’agit du passage le plus difficile au milieu des gorges.

 

L'adjudicataire et la Commune rentrent en conflit.

 

L'entrepreneur refuse de continuer les travaux des deuxièmes et troisièmes lots s'il n'obtient pas le relèvement du prix de 100% qu'il a demandé. Une délibération du conseil municipal est prise le 1er janvier 1933 après l'échec de l'adjudication du 30 décembre :

 

« Les travaux commencés il y a dix ans environ ont toujours subi des lenteurs injustifiables. Mais depuis un an la situation est tout à fait inqualifiable par suite de la non-exécution voulue et systématique de l'adjudicataire personnellement responsable des lots Cabanne- Culicciana et Culicciana-Chilga ... Le lot Chilga-Cumizza trouvait certainement preneur sans cet obstacle ... 

 

L'administration devrait prendre de suite toutes les mesures pour faire cesser un état de chose aussi déplorable qu'irrégulier, ayant à sa disposition des moyens correctifs pour l'adjudicataire, soit à entreprendre les travaux soit à résilier son contrat … »

 

1924

 

 

Dans La Revue de la Corse ancienne et moderne, n°30, novembre-décembre 1924 (celle qui reproduisait l’article de 1917 de l’Indicateur), un texte consacré  aux pins laricios, signé Eugène Maury, décrit ainsi l'état de la route qui mène alors à Asco  :

 

"Pour aller du village d'Asco, placé immédiatement au pied de la forêt, au village de Moltifao, il existait un sentier de 16 kilomètres, tracé au travers de rochers de très grande dureté, granite, gneiss ou porphyres en filons, qui forment les deux versants à peu près à pic de la gorge.

 

Ce sentier était bien le plus curieux que l'on puisse voir : tantôt longeant la rivière à travers des buis géants, tantôt s'élevant à plus de 100 mètres de hauteur, il se perdait en tire-bouchon dans des labyrinthes de rochers ; souvent les gens et les animaux domestiques passaient sur des encorbellements vertigineux et très étroits ; bref c'était une véritable expédition pour traverser la gorge."

 

Sans cesse les habitants d'Asco ont demandé à ce qu'une route longeant la rivière permît aux touristes et aux commerçants de parvenir commodément jusqu'à eux.

 

Mais le coût d'une pareille route avait arrêté les pouvoirs publics, bien que la commune d'Asco qui possède la forêt ait toujours voulu en sacrifier une partie pour la construction de la route. L'administration forestière a de tous temps fait la sourde oreille ; elle est venue cependant à ce projet et la route est presque terminée. Il ne reste plus qu'un lot de trois ou quatre kilomètres pour atteindre le village ... (p.92)

 

1927

 

A l'occasion de la fête de la Saint Michel à Asco le 29 septembre 1927, le poète "l'Orsu d'Orezza" rend hommage à Minighè (Dominique-Marie Guerrini dit "Minnellu") dans une longue chanson. 

 

Il note que le village se désole de ne pas avoir encore de route.

 

 

 

Traduction

 

Asco posé comme une fleur

Au milieu des monts, se languit,

Sans voie de communication,

car aucune route n'est ouverte.

 

Asco - La nouvelle route - 1930
Asco - La nouvelle route - 1930

 

 

1928

 

En 1928 la cession de l’exploitation de la forêt reviendra aux frères Brogné de Gap. Les frères Brogné envisagent d’ouvrir des voies de vidange : chemins de trainage et muletiers, voies Decauville, glissoirs … avec l’installation d’un téléphérique entre la forêt et les gorges, à l’arrivée des tronçons de route construits.

 

L’installation du téléphérique.

 

source : Gilles Guerrini, Administration et usages forestiers en Corse au XIXè siècle et dans la première moitié du XXè siècle : l’exemple de la forêt d’Asco.

 

Mémoire de maîtrise 2003 – université de Nice-Sophia Antipolis

 

Le téléphérique faisait neuf kilomètres de long, reposant sur 45 pylônes avec deux stations d’angle ; deux passages sur rails, une gare de départ de Giunte en forêt.

 

Forêt de Carozzica - Lieu-dit Giunte
Forêt de Carozzica - Lieu-dit Giunte

 

Une gare d’arrivée est installée au lieu-dit Cabanne dans les gorges ; 2 câbles longs de 9 kilomètres, un long de 18 ; 50 wagonnets pour grumes ; une benne et un palan électrique.

 

Gare d'arrivée du téléphérique - Lieu-dit Cabanne
Gare d'arrivée du téléphérique - Lieu-dit Cabanne

 

C'est une installation importante dont la valeur est estimée, en 1939, à 17 millions de francs. Selon des témoins, les techniciens du câble étaient allemands.

 

Cela a nourri la rumeur, non étayée, que le câble aurait été une réparation de 14-18, démonté en Allemagne et acquis par la maison Brognié.

  

Villageois et villageoises portant le cable du téléphérique
Villageois et villageoises portant le cable du téléphérique

 

Cette entreprise a nécessité l’emploi d’une nombreuse main-d’œuvre et a entrainé la création d’un village en pleine forêt, au lieu-dit Giunte. Il y avait un café tenu par des Ascolais et même un four à pain.

  

Le recensement de l’année 1931 dénombre 107 personnes habitant à Giunte dont de nombreuses familles avec enfants. Certains de ces enfants naîtront à Asco.

 

 

Les nationalités étaient diverses : italiens, russes, espagnols, polonais, serbes, français …

 


 

De source orale, les rapports entre les ouvriers et les villageois ont été bons avec quelques incidents mineurs. Trois mariages ont été célébrés entre ouvriers étrangers et villageoises.

 

Quelques accidents sont mentionnés dans les archives de la Justice de Paix de Castifao.

 

Un accident mortel marquera profondément les villageois, celui d’un jeune Ascolais qui descendait avec d’autres ouvriers dans une benne du téléphérique. Le téléphérique s’arrêta brusquement ; le jeune homme sortit de la benne et voulut rejoindre suspendu au câble un pylône voisin lorsque la benne redémarra !

 

Un autre décès est resté dans la mémoire collective, celui de la femme d’un responsable de chantier de nationalité russe. Meurtre ou plus vraisemblablement suicide ?

 

La victime fut enterrée sur place, non loin du refuge de Giunte. A cet endroit, le ruisseau Tassinetta qui se jette dans le Stranciacone forme une piscine naturelle. Nous nous y baignions et nous appelions cet endroit du nom de ce couple « u pozzu di Toporoff ».

 

* d'après le recensement de 1931, Victor Toporoff était né à Marioupol, ville dont on parlera (hélas) à notre époque lors du conflit russo-ukrainien.

 

 

Ruisseau de Tassineta - U pozzu "Toporoff" - années 2000
Ruisseau de Tassineta - U pozzu "Toporoff" - années 2000

 

1931

 

 

En juillet 1931, Antoine Trojani se rendant à Asco pour assister aux noces sacerdotales de son oncle l'abbé François Trojani, nous donne un aperçu de l'état de la route :

 

"Il faisait cependant chaud dans la plaine de Caccia et dans le val d'Asco ; le soleil, sans pitié, déversait, avec une générosité excessive , sur la route poudreuse et caillouteuse plus qu'à souhait, des flots de lumière et des cataractes de chaleur.

La route, hélas! s'arrête court à deux kilomètres du village et de trébucher à pied dans le sentier qui grimpe en serpentant nous fit trouver agréable et presque regretter les bonds de l'auto sur les têtes de chat du chemin dit carrossable."

(Bastia-Journal, 25 juillet 1931)

 

1932

 

En 1932, suite à des problèmes financiers et à une crise du bois qui provoquèrent sa faillite, l'entreprise Brogné mit fin à son exploitation. Les installations furent démontées et vendues en 1938 par la mairie.

 

Un article paru dans le quotidien Bastia-Journal le 21 avril 1932 fait allusion à l'attribution à la commune d'Asco de fonds,

 

"nécessaires à l'achèvement de la route de désenclavement  et aux travaux d'adduction d'eau".

 

1937

 

Ce n'est qu'en 1937 que la prolongation de la route jusqu'au village sera achevée à la satisfaction générale comme en témoigne l'article paru dans La Dépêche corse du 14 juillet de la même année.

 

C'est également à cette date que fut livré le fameux groupe scolaire avec ses quatre salles de classe, ses logements, sa salle de réception, toilettes, douches, préaux pour les récréations et activités sportives ... une bâtisse que bien des villages plus peuplés ou des villes auraient voulu voir s'édifier chez eux ...

 

"La dépêche de la Corse" - 14 juillet 1937
"La dépêche de la Corse" - 14 juillet 1937
Le groupe scolaire
Le groupe scolaire

 

S'agissant de l'installation Brognié, Francescu Namani dans son livre "I quattru verani", éditions Cismonte e Pumonte, a Muntagnera, 2009", nous en donne sa description complète en corse.

 

"A grande impresa Breugné hè cuminciata in 1929 incù cinquanta travagliadori venuti da Russia pè a maio' parte ma dino' da Italia, Spagna e d'altro' ... U tagliu di l'arburoni s'hè fattu ind'è è radiche di e Cusiole, a valle di Manica è a piana di e Citarelle, à manca è lungo a u stradone in l'altu Ascu à partesi da e Ghjunte, è ind'è a valle di Tassineta.

 

La grande entreprise Breugné a débuté en 1929 avec cinquante employés venus de Russie pour la plupart mais aussi d’Italie, d’Espagne et d’ailleurs…  La coupe des grands arbres a été effectuée au pied des Cusiole, dans la vallée de Manica et dans l’étendue des Citarelle, à gauche et le long de la route dans le haut- Asco à partir des Ghjunte ainsi que dans la vallée de Tassineta.

 

L'impiantu di u filu hà assicuratu u trasportu di i pini tagliati è rimundulati da u campu di e Ghjunte chi era a gara di pertanza di i billo', à a gara d'arrivata, à u puntu attuale, à cinque chilometri a pocu pressu, sottu u paese, locu apparinatu, à pianu à u stradone, mezza à a girata di e Ventulelle è a girata di a gara di u filu, longu fiume, chi, ha pigliatu dipoi nome di "a gara".

 

L’implantation du câble a permis le transport des pins coupés et élagués du secteur des Ghjunte qui était la gare de départ des fûts, jusqu’à la gare d’arrivée, cinq kilomètres environ au-dessous du village, endroit aplani, au même niveau que la route, entre le virage des Ventulelle et le virage de la gare du câble qui depuis porte le nom  de  « a gara », le long du torrent.

 

I travagliadori stavanu ind'è baracche di legnu, ind'è a piana di e Ghjunte.

U spiscione fattu di billo', facia sculiscia i pini rimundulati da e valle di a Manica finu a e raglie di u "decauville" chi purtava i legni à a gara di pertanza, a e Ghjunte. E raglie seguitavanu, da e Ghjunte à a piana di e Citarelle, a strada attuale è u fiumicellu di Tassineta.

 

Les ouvriers vivaient dans des baraques de bois implantées dans l’espace des Ghjunte. Le  glissoir fait de madriers faisait glisser les pins élagués de la vallée de Manica jusqu’au chemin de fer « decauville » qui les transportait   jusque à la gare de départ des Ghjunte. Les rails, des Ghjunte à la plaine des Citarelle longeaient la route actuelle et le ruisseau de Tassineta.

 

A stallazione di u filu un cumpinia  che un solu cablu, sempre tenutu incurdatu, incù cinque piloni cimintati, mezu a duie gare, ind'è i punti più impurtanti, ind'è  e Fraschere, u tagliu Rau,  Roia è duie tagliate prufonde di Cheronica è u pinzu sopra à a gara suttana.

 

L’installation du fil n'était composée que d’un seul câble, toujours gardé tendu par cinq pylônes cimentés entre deux gares, dans les points les plus importants au niveau des Fraschere, de la crête Rau, Roia et des deux entailles profondes de  Cheronica ainsi que le sommet au-dessus de la gare du bas.

 

U billo' era lungo trè, quattru o cinque metri azzingatu à a stazione di pertanza, dananzu, à mezu è daretu incù una catena à una tagliola chi rutulava nantu u cablu. Una cabletta rilegata à una manuvella è un mutore a essenza tirava u billo' ind'è i passeghji difficiuli, e catene e tagliole da a stazione suttana à a suprana. I camioni purtavanu i billo' ind'è l'usina di U Ponte à a Leccia.

 

Le fût de trois, quatre ou cinq mètres de long était accroché à la station de départ, devant, au centre et à l’arrière par une chaîne pourvue d’une poulie qui  glissait sur le câble. Un filin relié à une manivelle et un moteur à essence tirait le fût, de bas en haut, dans les passages difficiles grâce aux chaines et aux poulies. Les camions transportaient les grumes jusqu’à l’usine de Ponte Leccia.

 

Babbu tandu tenia a buttega d'Ascu è facia mercatu incu i Russii di a furesta, u serviziu Ascu-U Ponte à Leccia, incu u trasportu di i passaghjeri. U stradone piantavà a gara d'arrivo di u filu.

 

Mon père, à cette époque, tenait l’épicerie d’Asco, commerçait avec les Russes de la forêt et assurait le service de transport des passagers entre Asco et Ponte Leccia. La route s’arrêtait à la gare d’arrivée du câble.

 

L'imprisariu, u sgio' Breugnié, ha fattu travaglià l'Aschesi, omi e donne, à a messa in piazza di u filu, è pagava e ghjurnate à bon prezzu.

Di punta à u paese in Chéronica, è sottu versu a gara, si vedenu anc'oghje, e vistighe, e tracce di l'imbuccatura, u passaghju strettu, di u filu fattu, ind'è u scogliu, ind'è a cambiata di direzzione, di nivellu o pendita.

 

L’entrepreneur, Monsieur Breugnié a employé les  Ascolais, hommes et femmes, à la pose du câble et payait  un bon prix les journées de travail. 

En face du village au lieu-dit Cheronica et au-dessous, au niveau de la gare, on distingue aujourd’hui encore les traces du goulet, le passage étroit du fil réalisé dans le rocher afin de changer de direction, de niveau ou de pente.

 

Dui ingegneri anu impiantatu u filu ind'è i lochi imbrugliati, accunciatu u spiscione  pè fà sculiscià i billo' rimundulati, è "u decauville" nantu a raglie pè purtà legnu à  gara di pertanza, fattu funzionà u cablu senza fallu, da una gara a l'altra.

In parecchi lochi, u cablu passava a un metru è mezu di a tarra. I paisani o ghjente d'altro', i più stumacuti, si pudianu achjappà a u billo' in marchja e scavalcassi ind'è u puntu u più bassu vicinu a u paese.

 

Deux ingénieurs ont positionné le câble dans les endroits difficiles, agencé le glissoir pour faire glisser les fûts élagués et le "decauville" sur les rails  pour porter le bois à la gare de départ. Ils ont fait fonctionner le câble sans incident d’une gare à l’autre.

En de nombreux endroits, le câble passait à un mètre et demi du sol. Les villageois ainsi que les étrangers les plus hardis pouvaient s’agripper au fût en mouvement et débarquer, en un point le plus bas, à proximité du village.

 

Laissons la conclusion à l’auteur de l’article La nouvelle route d’Asco (op.cit.) :

 

« Il est à désirer [que la route] soit un jour prolongée jusqu’au centre de l’immense domaine forestier de La Carozzica.

 

De là, des pouvoirs publics avisés pourraient la continuer vers Calenzana et Calvi en franchissant le Col de Pietrello où la vue panoramique est incomparable. Elle deviendrait alors une route stratégique et touristique de premier ordre ».

 

Premier souhait exaucé en 1964 : la route est prolongée, à travers la forêt de Carozzica, jusqu’au plateau de Stagno à 1500 mètres d’altitude.

 

C'est à cet endroit que sera implantée, en 1964, l’une des premières stations de ski de la Corse.

 

Quant au deuxième vœu, Messieurs les élus et futurs élus, la balle est dans votre camp !

 

 

Bien d'autres articles, paraissant au fil des années, signaleront le mauvais état des routes corses et de celle d'Asco !

 

1949

 

Article de Jean Hureau, La Corse sauvée par le tourisme, paru le 19 juillet 1949 dans la revue France-Illustration évoque l'état des routes :

 

"Que dire des routes purement touristiques ? ... A Asco, ce village de montagnes que d'aucuns surnomment le "Zermatt de la Corse", une route de gorges, dans un état pénible, dessert le village, alors que pour la mise en valeur d'un des plus beaux sites de l'île une bonne chaussée devrait pousser 4 kilomètres au-delà, jusqu'à l'orée de la forêt de Carrozica, dont les futaies s'élèvent sur les flancs d'un cirque grandiose, couronné par les hautes aiguilles du massif du Cinto." (p.41)

 

1954

 

Une vente d’arbres par la commune permet de continuer la route de la forêt jusqu’au lieu-dit Caldane.

 

1964

 

Grâce à la collaboration de la Légion étrangère, les 3 derniers kilomètres permettant d’atteindre le plateau de Stagno, lieu d’implantation de la future station de ski, sont achevés.

 

 

4. US ET COUTUMES : LE MARIAGE A ASCO

 

Dans son opuscule Autour du village d'Asco (op. citée) , le curé François Trojani écrit : 

 

" ... nous tenons à fixer une bonne fois ce que fut dans un temps plus ancien le formulaire du mariage religieux en la paroisse d'Asco.

Qui ignore que ces us respectables du reste en soi, bien que singulièrement originaux, ont servi de cible aux quolibets de nombreux historiographes ...

 

... la vogue du mariage d' Asco a vite fait de devenir légendaire, sinon proverbiale en Corse."

 

S'appuyant sur des traditions locales recueillies depuis 1880 auprès des nonagénaires du village il rapporte les coutumes des anciens temps transmises de bouche en bouche.

 

L'anneau nuptial qui servait à la célébration de tous les mariages. 

 

"C'était comme un objet du culte. Aussi était-il conservé  parmi le mobilier de l'Eglise. Béni et donc rebéni à tous les mariages, il était pour chaque époux, passé aux doigts de l'épouse qui ne le gardait sacralement qu'un jour, le reportant le lendemain même au curé, avec une pleine assiette de beignets et autres friandises locales en usage à cette occasion solennelle.

S'il fut en or ou argent, je ne saurais le préciser ... d'après ma conviction il a dû être en cuivre doré.

 

Le seau (a secchja e a rocca) et la quenouille.

 

"La tradition est unanime pour nous apprendre que le prêtre avant de passer aux bénédictions rituelles, posait un seau en bois en bois de genévrier sur la tête de l'épouse et lui donnait ensuite une quenouille, emblèmes essentiels des travaux domestiques d'alors ...

 

Le Célébrant expliquait aux époux les devoirs nouveaux qui leur incombaient et terminait la cérémonie par la Sainte messe pro Sponso et Sponsa." (p.34)

 

Documents du livre de l'abbé Galletti, Histoire de la Corse, Paris 1883, concernant les coutumes du mariage à Asco.

 


  

La tradition du seau en genévrier (a secchja, la seille), posé sur la tête de la mariée est reprise par Antoine Trojani dans son livre "Pece cruda" , ainsi que la tradition de la quenouille (a rocca) que l'on donnait à la mariée.

 

Deux ustensiles qui sont l'emblème du travail qui échoit à la mariée !

 

Extrait de "Pece cruda" :

 

Eiu, dicia ziu Dumenicu Pernicone, ùn ci vo’ più a vede i matrimonii in ghjesgia. E cambiatu ogni cosa. Quand’è mi maritai eiu, Maria purtava in capu una sechja nova, cu e dove e i chjerchji sprincighjenti ; e ficcata indù a cinta, una rocca impinnichjata di biancu, chi l’avia  rigalata eiu, fatta da e mo mani, a u spuntichju, e chi l’è durata fin’a so morte.

 

Eiu da in cima di a navata, a chjamai : « O Mari essoche côllane-côllane ! Ed ella mi rispose : « O Dumè ! essoche fàlane-fàlane, ». E ci scuntramu a meza navata. Vulete megliu ? Ma l’usi si perdenu e ci n’è chi so persi ch’è un bellu pezzu : A l’antica, pè i matrimonii c’eranu i muggliacheri e l’imbasciadori ch’erano quelli ch’avianu incruchjatu l’unione.

 

Eppo’  pare ch’ellu ci fussi l’usu di a funtana, quellu di a bona ventura, quellu di a parata … Avà i sposi parenu ch’elli voganu a un intarru ! …

 

 Traduction

 

"Moi disait l'oncle Dominique Pernicone, je n'y vais plus voir les mariages à l'église. Tout a changé. Quand je me suis marié, Marie portait sur la tête une seille neuve, avec ses douves et ses cerceaux étincelants ; et fichée dans sa ceinture, une quenouille empanachée de blanc, que je lui avais offerte, sculptée de mes propres mains, et qui lui a servi jusqu'à sa mort.

 

Moi du haut de la nef je l'ai appelée "Oh Marie essoche côllane-côllane ; et elle m'a répondu : "essoche fàlane-fàlane". Et nous nous sommes rencontrés au milieu de la nef. Que voulez-vous de mieux ?

Mais les coutumes se perdent et il y en a qui se sont perdues il y a bien longtemps.

 

Autrefois pour les mariages, il y avait les cavaliers et les ambassadeurs qui étaient ceux qui avaient arrangé l'union.

 

Et puis il semble qu'il y avait aussi la coutume de la fontaine, celle des voeux de prospérité, celle de la parade ... Maintenant on dirait que les mariés se rendent à un enterrement ! ..."

 

Cette allusion à la fontaine, où se rendaient les mariés, se retrouve dans le long poème d’Antone Leonardo Massiani «U viaghju in Ascu » op.cit.

 

 

"In Ascu, quandu c’este un parintatu,

Accumpagnanu a sposa à la funtana

Tutte le donne di lu vicinatu.

 

"À voi vi hè parsciuta cosa sciana.

Ma noi vulemu tene li nosci usi

 

A Asco quand il y a un mariage

Toutes les femmes du voisinage

accompagnent la mariée à la fontaine

 

Cela vous a semblé une chose étrange

Mais nous, nous voulons garder nos coutumes …

 

 

Ce rituel de la fontaine est décrit dans l'ouvrage de l'abbé Galletti sous le titre de "l'eau lustrale".

 

 

 

 

Dumenicu Pernicone évoque deux autres traditions qui, elles aussi, ont été abandonnées : celle de la "parata" et celle de la "bona ventura".

 

On trouve l'explication de ces coutumes dans l'Histoire illustrée de l'abbé Galletti (op.cit.) :

 

"On appelle bonaventura les cérémonies que les femmes accomplissent en répandant du blé ou du riz sur la tête de la mariée.

 

Bien que les autres usages se soient sensiblement modifiés, celui des augures prononcés en faveur de l'épouse au moyen des poignées de blé et de riz s'est perpétué ; c'est ce qu'on désigne sous le nom de souhait ou de bonaventura.

 

 

Dans une des plus vieilles berceuses corses « A nanna di u Cuscione » il est fait allusion aux traditions lors d’un mariage corse : la chevauchée des jeunes gens (i mugliaccheri ) qui accompagnent le fiancé qui va chercher sa future épouse.

 

Au retour de la chevauchée avec l’épouse, les villageois font semblant de l’empêcher d’entrer au village en faisant « la travata » nommée aussi « parata » ou « spallera », selon les régions.

 

On en trouve la description chez l'abbé Galletti.

 

 

 

 

Dans son livre "Pour une vallée sereine" (pp. 123/124), Antoine Trojani décrit un mariage à Asco où l'on retrouve les trois rituels.

 

" ... A la source fraîche et abondante de Tuloni, la mariée descend de cheval pour accomplir le rite ancestral de la fontaine.

 

... Elle s'agenouille ; de la main droite trempée dans l'eau, elle fait le signe de la croix. Puis elle remplit sa main de cette eau limpide, lève par un mouvement gracieux l'avant-bras à hauteur de la tête, et laisse peu à peu tomber l'eau dans le bassin, en prononçant les mots rituels :

 

Chi st'acqua mi possa purificà                  Que cette au puisse me purifier

E i me difetti à u mare purtà,                    Et mes défauts à la mer porter

Per ch'e possa senza machja entrà,        Pour que je puisse sans tache entrer

Di u me maritu indù u casulà                    Dans la maison de mon mari

Cume so esciuta da u senu matriculà   Comme je suis sortie du sein de ma mère

 

... Et lentement, nous redescendons vers Sebula ... Nous nous dirigeons vers la grande demeure devant laquelle on avait mis "la travata".

 

C'est un cordon de rubans multicolores barrant à l'épouse l'entrée de la maison conjugale. Mais cette barrière est haute d'environ cinq paumées. La mariée ne saurait sauter par-dessus. D'autre part, s'il y a heurt, bris ou déchirure, c'est présage de malheur.

 

Mais on susurre à l'oreille de la mariée interdite : "Baissez la tête et passez sous le cordon". Ce qu'elle fait sous les acclamations de la foule. C'est alors que le plus vieux parent de la mariée donne à l'épouse les clefs de la maison, qu'il prend au fond d'un panier rempli de fleurs des champs. 

 

C'est ce qu'on appelle "la bona ventura"  Les femmes groupées près de l'entrée, jettent tour à tour une onde de blé sur les époux, puis les embrassent en prononçant des voeux"

  

Pièce de théâtre parue dans la revue A MUVRA

 

"Pour rire et se souvenir de nos coutumes."

 

Les personnages ont tous de savoureux surnoms :

 

Prete Buccalone, le prêtre Grosse bouche,

Ziu Culattone, l'oncle Gros derrière,

Steccufiurito, Bâton sec fleuri,

Zia Linguarrutata, Tante Langue bien pendue