LA SEMAINE SAINTE : 5) TEXTES DIVERS

 

 

Voici tout d'abord un texte extrait de la revue A travers le Monde, du 12 mai 1903. L'auteur, Jean Quenza, nous décrit le rituel de la Semaine sainte à Bonifacio.

 

"Bonifacio est une des villes de la Corse où la domination génoise a laissé le plus de traces, aussi a-t-elle conservé les rites de la Semaine sainte à la mode italienne.

 

Il y a dans la ville six églises. Chacune a une confrérie de pénitents habillés avec une tunique blanche descendant jusqu'aux talons, un cordon autour des reins et une cagoule de même nuance, ainsi qu'une pèlerine, qui est noire, violette, rouge, verte etc ., selon la confrérie.

 

Le soir du Vendredi saint, l'aspect de la ville est lugubre car on éteint toutes les lanternes. Par contre, dès le crépuscule, toutes les maisons s'illuminent et pas une famille ne manquerait à ce devoir, en ne mettant pas au moins deux lampes à huile à chaque fenêtre.

 

Tout à coup la porte de l'église paroissiale (Saint Dominique) s'ouvre toute grande et la confrérie des pénitents s'avance, le clergé et les moines des couvents de Saint-Julien et de la Trinité en tête. On se rend dans l'église de Sainte-Croix pour prendre le Christ qui est dans une bière en bois.

 

Dès que les confréries des autres églises se sont réunies, quatre pénitents choisis parmi les dignitaires, prennent chacun un coin de la bière où se trouve le Christ et toutes ces confréries s'avancent sur deux rangs, avec lenteur, de longs cierges à la main ou des lanternes allumées, précédées par la grande croix qui se trouve en tête de la procession et qui est portée également par un dignitaire.

 

Viennent ensuite des grandes châsses représentant des scènes du jardin des Oliviers et de la Passion en général.

 

De ce pas la longue file indienne sort de l'enceinte fortifiée de la ville pour aller au reposoir de l'église de Saint-Roch, où l'on peut voir dans le reposoir l'image de la Vierge pleurant sur le corps du Christ. L'église est tendue d'étoffes de deuil et seules les lueurs jaunes et tremblantes des cierges viennent piquer l'épaisseur des ombres et éclairer vaguement ces pénitents fantômes, le Christ et son suaire et les bras énormes de la grande Croix.

 

C'est alors que le spectacle devient effrayant. Après quelques hymnes chantés, la procession reprend sa marche lente pour redescendre dans la basse ville.

 

Cette étrange et lugubre procession déroule ses anneaux à travers les rues tortueuses, portant ce Christ aux chairs livides, aux plaies ensanglantées avec la couronne d'épines d'où le sang parait couler goutte à goutte, ce qui donne à cette scène une pointe de réalisme saisissant. Toute cette foule psalmodie le Miserere, pendant que les femmes chantent en italien sur un air lugubre un cantique de la Passion.

 

La procession, après avoir rendu visite à toutes les églises, revient à son point de départ à l'église Saint-Dominique, toujours suivie par la population entière tête nue, les hommes en tête et les femmes avec les enfants en arrière. En arrivant devant l'église paroissiale on s'arrête, pour recevoir  la bénédiction avant de rentrer dans l'église.

 

Une fois dans l'intérieur tout le monde prend sa place tandis que le moine prêcheur monte en chaire, dominant ainsi la foule silencieuse et prosternée. Il tient dans sa main gauche le Christ et commence un sermon sur la Passion. Cette scène est vraiment d'un grand caractère. Un profond silence règne; seule la voix du prédicateur s'élève vers la nef, pendant que son visage est éclairé par les lueurs fauves et indécises des torches.

 

Lorsque le prêche est terminé, le prédicateur saisissant des deux mains le Christ, l'élève avec effort et lui fait décrire un grand signe de croix bénissant ainsi la foule qui, tombée sous le vent de la piété, sanglote en silence.

 

On se lève aussitôt et chacun regagne sa demeure pendant que chaque confrérie s'en va isolément rejoindre son église. Telle est la procession nocturne du Vendredi-Saint à Bonifacio et à quelques nuances près les rites de la Semaine Sainte se précisent de la même façon dans toute la Corse.

 


 

Un autre extrait paru dans LA REVUE DE LA CORSE, n°33 mai-juin 1925 

 

"Souvenir de Corse : Bonifacio en temps de Semaine Sainte, par Paul Chauvet" :

 

"On rentra, l'après-midi, pour l'Office des Ténèbres à la cathédrale de Sainte-Marie Majeure ... matelots et ouvriers, boutiquiers et bourgeois, femmes, enfants, vieillards dignement drapés de pèlerines, tous chantaient avec ferveur un dolent miserere

 

Il y avait de la dévotion sur ces figures et, sur les plus rudes, l'illumination de la foi. Tous revivaient les heures tragiques de la Passion, le Calvaire, la torture et l'outrage.

 

A mesure que le dénouement approchait, les cierges s'éteignaient un à un, l'obscurité grandissait. La dernière flamme mourut au dernier acte. Les verges retentirent sur le sol, comme au matin pour chasser Satan, maintenant sans maître ... p.47"

 

 

 

 

Revue de la Corse ancienne et moderne n°113 janvier-février 1939

 

Coutumes corses à Erbalunga par E. Ricci pp.22-36

 

Les cérémonies de la Semaine Sainte revêtent chaque année un caractère à la fois émouvant et pittoresque dans le petit village d'Erbalunga en Corse.

 

Les Ténèbres. 

 

Les six hommes qui vont être les principaux acteurs de cette cérémonie, s'assoient derrière deux longs pupitres sur lesquels brûlent six bougies ... à ces six cierges s'ajoutent les scintillements de quinze bougies disposées sur un if placé au bas de l'autel ...

 

Au fur et à mesure que l'office se déroule, un enfant de choeur éteint une à une les bougies ... Quand il ne reste plus que la dernière bougie sur l'if ... le curé souffle la dernière flamme qui troue les ténèbres, et c'est alors un vacarme assourdissant dans toute l'église.

 

Ce vacarme correspond aux manifestations géophysiques qui suivirent la mort du Christ et qui frappèrent l'imagination des hommes. Il rappelle également le tumulte dans lequel s'opéra l'arrestation de Jésus qui supporta dès ce moment les traitements les plus cruels que l'on puisse imaginer.

 

Le vacarme qui termine l'Office des Ténèbres est produit à Erbalunga par les enfants du villages. Chacun d'eux s'est muni avant l'office, d'un appareil destiné à faire du bruit : moulinets en bois, plaques de bois munies de grosses charnières cliquetantes et surtout de feuilles de palmiers débarrassées de leurs folioles.

 

La Cerca.

 

Pourquoi la cerca ? Vraisemblablement parce qu'il y a, dans l'idée dominante de la procession, la "recherche". ; certains sont munis d'attributs spéciaux : croix, masses, lampions et s'intercalent dans les rangs, puis toute la procession s'ébranle. Elle parcourra tous les hameaux pour finir à Lavasina et repartir vers Erbalunga ..."

 

L'auteur poursuit son récit en décrivant plus en détail la cérémonie.

 

Pour compléter ce chapitre dédié à la Semaine sainte, voici d'autres récits d'auteurs corses qui évoquent avec nostalgie ces diverses manifestations auxquelles ils ont participé.

 

Le premier est un extrait de A. Casalonga, paru en 1961 dans le n° 72 de la revue U Muntese.  

 

       

"... La crécelle - Nous l'appelions "bartulaccia". Pourquoi ? Je ne sais et ne le saurai peut-être jamais. Qu'importe ! Mais, s'il fallait donner une réponse à chaque question que l'on veut se poser, pourquoi ne pas penser que "sbarabatula" qui désigne le désordre des mouvements, pourrait être à l'origine de notre dénomination de cet instrument aux sons Inégaux et discordants ?

 

Cette crécelle était faite d'une caissette dont la résonance était amplifiée par un couvercle qui la fermait à demi ; sur ce couvercle, étaient fixées des lamelles de bois assez flexibles pour permettre aux butées, fichées dans un manche à poignées, de remplacer la roue dentée des crécelles de facture commune.

 

Conservée à la sacristie - il n'y en avait qu'une et les fidèles n'en disposaient pas - cette crécelle servait aux trois usages que vous indiquez :

 

- dès que le prêtre nous la confiait pour appeler les fidèles aux offices de la Semaine Sainte, il se formait une bande de garçons turbulents qui, muezzins ambulants, allaient dans le rues du village satisfaire tout à la fois leur goût de la fantaisie malicieuse en bousculant l'horaire des appels (l'affolement que cela provoquait chez certaines paroissiennes trop crédules nous réjouissant tant que Dieu nous aura sûrement pardonné) et leur inclination au défi vaniteux, en faisant de ces appels un prétexte à tournoi de beuglerie (l'aveu nous rapportera l'absolution) 

 

- de retour à l'église, quelques-uns des servants de la crécelle devenaient des enfants de choeur qui, en la maniant, indiquaient aux fidèles les moments de recueillement 

 

- enfin celui qui, plus rusé que les chanceux, avait su la conserver à la fin de l'office des Ténèbres, la faisait voltiger pour participer au tapage général.

 

Les offices des ténèbres - nous désignions du seul terme de "tardamoduli" tant les vêpres des mercredi, jeudi et vendredi saints que le tapage qui s'y faisait.

 

Jamais, sauf aux jours des majestueuses fêtes religieuses, l'église n'était tant fréquentée par les fiers-à-bras et autres garnements du village ; mais notre prêtre ne s'y trompait pas (pour être un saint homme, il n'en restait pas moins d'une lucidité diabolique) et devinait que cette fréquentation massive et soudaine était redoutable : en effet, le tapage allait se faire à la fin des vêpres, avec des "tamaredi", massues taillées dans une souche de bruyère (tama) sommairement émondée et prolongée d'une tige. 

 

Aussi pour éviter un préjudice irréparable aux bancs de son église, le prêtre nous fouillait-il pour saisir les massues trop grosses ; mais nous savions prévenir les mauvaises surprises de cette fouille avec ingéniosité (Dieu nous bénisse) en dissimulant à l'avance notre massue en un coin secret d'une chapelle latérale, ou avec malhonnêteté (Dieu nous pardonne) en ne pénétrant dans l'église qu'après que l'Office ait commencé.

 

Ces préalables expédiés, l'Office se célébrait et de vieux chantres interprétaient les psaumes, cantilènes monotones dont la phrase mélodique rappelait des "chiami e rispondi" : nous étions, d'autre part, fascinés par l'extinction régulière des cierges : celle-ci abrégeait notre attente et nous donnait prétexte à troubler la sérénité de l'Office en sifflant avec des "sampugni", sifflets petits et courts, faits de deux lamelles de bambou, entre lesquelles était glissée une lamelle de peau de saucisson qui, amincie, servait d'anche ; les "sampugni" grinçaient dès qu'on entrouvrait les lèvres et, se dissimulant facilement sous la langue, nous permettaient, notre cri lancé, de conserver notre impassibilité sous le regard courroucé du prêtre.

 

Enfin, apothéose ! le tapage nous était accordé et nous martèlerions encore les bancs, si prêtre et sacristain n'étaient intervenus, à coup de baguette, pour nous chasser de l'église."

 

 

A. CASALONGA - Les Offices des Ténèbres à Santa Maria Sicchè.   

 

 

Suit un autre extrait de Petru Ciavatti (U Muntese n° 80, 1962), qui témoigne déjà de l'oubli dans lequel tombent les traditions liées à la Semaine sainte.

 

 

SETTIMANA SANTA E RICORDI

 

 

Oghje, ... e varie funzioni di a Settimana Santa vanu perdendusi ogni annu un pocu di più per mancanza di cantori, di preti e di fedeli !

 

... In parecchi paesi si facia a prucessione di notte e tutt'e case eranu alluminate ; a ogni finestra c'eranu candeletti, lumere e ci si vidia, per 'ssi chiassi, cume in pienu ghjornu.

 

... U Veneri santu in tutta l'Isula usavanu e prucessione da un paese a l'altru ... Ognunu cunnosce, almenu di nome, s'ell'un la vista, a prucessione di u celebru "catenacciu" di Sartene ...

 

... e l'uffiziu di i Tenebri ch'ellu si recita u mercuri, ghjovi e veneri  santu, qual'un si n'arricorda ?

 

Quale un si rammenta a spinta di l'ultima candela ed u fracassu chi no' scuppiavamu tandu : soni, fischi, gridi, battulellate nant'a i banchi e nant'u pavimentu ? ...

 

SEMAINE SAINTE ET SOUVENIRS

 

De nos jours ... les diverses fonctions de la Semaine Sainte se perdent un peu plus chaque année par manque de chanteurs, de prêtres et de fidèles !

 

... Dans de nombreux villages on faisait la procession de nuit et toutes les maisons étaient illuminées ; à chaque fenêtre, il y avait des chandeliers, des lumières et on y voyait, dans ces ruelles, comme en plein jour.

 

... Le Vendredi saint dans toute l'Ile on pratiquait la procession d'un village à l'autre ... Chacun connait, au moins de nom, s'il ne l' a pas vue, la procession du célèbre "catenacciu" de Sartène ...

 

... Et l'office des Ténèbres que l'on récite le mercredi, le jeudi et le vendredi saint, qui ne s'en souvient ?

 

Qui ne se rappelle la dernière chandelle éteinte et le fracas que nous déclenchions alors : sons, sifflets, cris, violents coups frappés sur les bancs et sur le pavement ? ...


 

 

Le troisième est un extrait de Simon Vinciguerra, paru en 1966 dans le n°110 de la revue U Muntese et qui a trait au rituel du Sepolcru dans le village de Pietra di Verde.

 

 

" ... Jusqu'en 1923, à Pietra di Verde, on plaçait  le sepolcru en plein milieu de la nef. C'était un cube de poutres et de planches, aussi solide et léger que possible, avec un escalier d'accès à l'étage.

 

La charpente, tendue de blanc à l'intérieur, était habilement dissimulée à l'extérieur par des bouquets de fleurs ou de lierre, et surtout du buis qu'on allait couper dans la vallée du Busso, nom local de la rivière d'Alesani.

 

Au sommet, quatre montants, disposés en pyramide, surmontée d'une croix et avec un lustre central, donnaient à l'église élégance et majesté.

 

A l'étage, assez ouvert pour ne pas masquer l'officiant, était ménagé un autel. Au rez-de-chaussée, sur des tapis, gisait le grand Christ en croix, u Cristone, entouré d'images des saintes femmes, peintes sur bois et découpées grandeur nature.

 

Le soir du Vendredi saint, l'ensemble dans sa naïveté, offrait un spectacle assez impressionnant, surtout lorsque, dans la pénombre, s'élevaient des flammes aux couleurs imprévues, et dansantes comme des feux follets, produites simplement par des récipients d'alcool soigneusement camouflés dans le corps de l'édifice. Comme en Espagne apparaissent ici de nombreux éléments folkloriques avec tendances artistiques et dramatisantes.

 

Dès le mercredi après-midi, des jeunes filles, groupées autour du sepolcru, chantent des cantiques en français ou en italien. Des femmes viennent pour la prière et apportent u lume di u sepolcru : lampes à huile à pied de métal et globe de verre - a viola - ou lampes de cuivre à trois becs - lucernaghju -.  Les possesseurs d'oliviers y joignent, à la disposition de tous, une réserve d'huile dans un misciarolu, récipient d'étain ou de fer blanc, au bec effilé ...

 

 

 

 

L'illustration ci-dessus est tirée de la revue U Muntese. Elle représente le sepolcro de Pietra di Verde tel qu'il était monté dans les années 1920.

 

Selon ME Nigaglioni, on dirait l'arrestation du Christ au Mont des Oliviers. Ce sont des silhouettes découpées, des cartelami.

 

Le dernier extrait provient du livre d'Antoine Trojani, écrivain et poète ascolais, Sott'a l'olmu, 1977, (Canti, fraghjature e zambri pasquali), pp. 49/50.

 

Il rappelle avec une certaine nostalgie les coutumes liées à la Semaine sainte à Asco.

 

  

 

 

 

 

 

 

"... Avà un si parla ne d'uffiziu ne di sepolcru ; appena s'ellu si cunnosce da Pasqua a Natale. Ma à tempi nostri, u marcuri santu si facia u sepolcru.

 

Un tendone neru chjudîa una cappella. A porta sempre spalancata era ariggiata di frisgiuli bianchi. A u tendone éranu azzingati i casubii, e stole di u prete.

 

Dentru u sepolcru, in tarra, éra stesu u crucifissone. Era probiu un sepolcru. Ind'un scornu c'éra una giarra per l'oliu. E donne, una ad una o à coppii, purtàvanu a lumeruccia in vetru o in latta, cum'elle facîanu per tutti i morti, ch'éra mortu u nostru Signore. E ci si pregava o parlava sottu voce.

 

I zitelli guardàvanu da a porta, impeuriti ; ma un entrîanu in quella cappella bench'ella un fussi cusi' bughjunosa ma trista e silenziosa. Mancu e donne un chjachjaràvanu in sepolcru ..."

 

Un vennari da mane, u prete, accumpagnatu da i pretini e da i cantori, andava à a porta di u sepolcru, s'indinuchjava e principiava à  cantà un voceru pè u Cristu ...

 

Quandu e dece strufate éranu compie, u prete si rizzava e intunava u cantu per fà u giru di u paese ...

 

E si facia u giru di u paese, per quelle chiasse petricose, sottu quellu sole chjaru, giovanu, ridente. Tutti seguitàvanu e cantàvanu ...

 

 

 

 

 

 

"... Maintenant on ne parle ni d'office  ni de sépulcre ; à peine si l'on distingue Pâques de Noël. Mais à notre époque, le mercredi saint on faisait le sepolcru.

 

Une grosse tente noire fermait une chapelle. La porte toujours grand'ouverte était ornée de rubans blancs.

A la grosse tente étaient accrochées les chasubles et  étoles du prêtre.

 

Dans le sepolcro, par terre était étendu un grand crucifix. C'était vraiment un sepolcro. Dans un coin, il y avait une jarre pour l'huile. Les femmes, une à une, ou par deux, portaient le lumignon en verre ou en fer blanc, comme elles faisaient pour tous les morts, puisque notre Seigneur était mort. Et on y priait ou on y parlait à voix basse.

 

Les enfants regardaient par la porte, apeurés ; mais ils n'entraient pas dans cette chapelle bien qu'elle ne fût pas si sombre mais triste et silencieuse. Même les femmes ne bavardaient pas dans le sepolcro ..."

 

Le vendredi matin, le prêtre accompagné par les enfants de choeur et les chanteurs, se dirigeait vers la porte du sepolcro, s'agenouillait et commençait à chanter le voceru pour le Christ ...

 

Quand les dix strophes étaient finies, le prêtre se levait et entonnait le chant pour faire le tour du village ...

 

Et l'on faisait le tour du village par ces chemins pierreux, sous un soleil clair, jeune, riant. Tout le monde suivait et chantait ...

 

 


 

Nous ajouterons deux témoignages plus récents, de deux femmes corses qui, dans leur enfance, ont participé à ces événements de la semaine sainte et ont bien voulu nous en faire le récit.

 

Celui de Madame Françoise Mambrini que nous avions rencontrée à Zilia en 2013 et qui nous avait fait visiter l'église, la confrérie et la chapelle près du cimetière.

 

" Le jour des Rameaux tout le monde attendait sur la place de l'église avec de grands rameaux fleuris avec des iris et des giroflées. On se dirigeait ensuite en procession vers la grande porte de l'église. Il fallait taper trois coups pour qu'on l'ouvre et allumer les bougies pour entrer.

 

Le mercredi saint avait lieu la cérémonie des Vespari. On éteignait une à une les 15 bougies d'un grand chandelier qu'on appelait le Triangle. A la dernière bougie éteinte on criait "i jiudei" et on tapait sur les bancs avec des bâtons et ceux qui avaient des crécelles les faisaient tourner. Il fallait faire beaucoup de bruit, sans doute pour éloigner les méchants.

 

Le matin du vendredi saint avait lieu la messe. A partir de 15h les cloches ne sonnaient plus ; les statues étaient recouvertes d'un tissu violet. C'était une grosse crécelle "u raghjone" qui remplaçait les cloches. Elle était utilisée par "l'Usceru" (l'appariteur)  ou les enfants de choeur qui faisaient des appels dans tous les quartiers : A u primu, a u secondu ...

 

L'après-midi c'était le baisement de la Croix. Le curé découvrait lentement la croix sur le grand autel qu'il plaçait ensuite sur un tissu, appuyée sur les marches qui montent vers l'autel. 

 

Le curé partait du fond de l'église, pieds nus, s'agenouillait plusieurs fois, puis s'allongeait face contre terre devant la croix pour l'adorer. Suivaient les gens, à genoux, qui allaient embrasser la croix.

 

Ensuite on préparait la Vierge du vendredi saint, Notre-Dame du Rosaire. On l'habillait de noir : sa robe, son foulard sur la tête, une mantille par-dessus, un mouchoir blanc entre les doigts de la main gauche. Elle était placée devant le grand autel. A ses pieds le gisant recouvert d'un voile noir, des cierges et des fleurs sur les côtés.

 

En attendant "a girandula" à 21h, les gens pouvaient rendre visite au gisant. Il fallait monter avec une bougie allumée, lui baiser les pieds, déposer une offrande en chantant "Perdono mio Dio ".

 

La procession s'ensuivait avec tous les confrères en tenue. Chacun avait sa bougie. On laissait les volets des maisons ouverts, lumières éclairées, et bougies sur les rebords des fenêtres.

 

On sortait de l'église sur la droite jusqu'au petit oratoire de la Madunella (Notre-dame des Victoires) ; on traversait la place, on allait jusqu'à l'entrée du village (la croix de "Ghjarghja") puis on remontait tout en chantant.

 

Sur la place, à côté de l'épicerie, on déposait la Vierge sur une table, le lit du gisant devant sur quatre chaises et on commençait  " a girandula" (a lumaga), que l'on fait encore même sans prêtre".

 

 

L'autre témoignage est celui de Mme Madeleine Antolini de Galeria, qui avait répondu longuement à notre enquête.

 

"La semaine sainte débute par les rameaux, jour de préparation de "e crucette". La semaine précédant les rameaux, on ramassait des branches d'olivier ; le jour des rameaux les fidèles étaient réunis devant la porte de l'église. Le curé donnait trois coups : la porte s'ouvrait ; on rentrait, le curé bénissait l'olivier et faisait la messe.

 

Après la messe, les branches d'olivier étaient suspendues partout dans la maison ; on en mettait aussi dans les champs, les jardins pour invoquer la pluie.

 

Après la messe des rameaux les statues de l'église étaient recouvertes d'une aube violine en signe de deuil.

 

La semaine sainte commençait le mercredi midi ; tous les offices religieux étaient signalés par "u cornu marinu" et " a radaghja", la crécelle, qui remplaçaient les cloches.

 

Le Jeudi saint il y avait un reposoir avec des veilleuses, des lampes à huile et des bougies. L'autel était fleuri d'iris violets.

 

Le soir il y avait une veillée avec des chants ; les femmes apportaient "u cunfortu": des beignets, du vin, du café pour les fidèles qui veillaient le Saint sacrement jusqu'au matin.

 

Le vendredi saint il y avait la cérémonie religieuse suivie du chemin de croix. L'après-midi on faisait "u pagagliacciu" bruit pour effrayer le diable. Les enfants faisaient le tour du village en soufflant dans la conque marine.

 

Dans l'église le curait frappait dans ses mains , c'était alors le charivari : toute l'assistance faisait du bruit en tapant avec des bâtons sur les bancs.

 

Au fur et à mesure qu'on éteignait une bougie, on faisait une prière ; quand toutes les bougies étaient éteintes, reprenait le vacarme pour éloigner le diable ...

 

Le soir du Vendredi saint tout le village était illuminé ; des bougies étaient allumées aux fenêtres des maisons ; il y avait la procession dans le village au chant de Perdono mio Dio. Chacun avait une bougie à la main.

 

A la fin de la procession commençait "a granitula", destinée à la recherche du Christ au tombeau.

 

Les organisateurs de la granitula veillaient à son bon déroulement ; elle prenait la forme d'un escargot, s'enroulait et se déroulait, puis c'était le retour à l'église toujours la bougie à la main. Les confrères étaient vêtus de blanc ..."

 

Comme le démontrent les textes et les images de notre paragraphe sur la Semaine sainte, nombreux sont les villageois qui font, heureusement, revivre ces pratiques.

 

 

 

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